mardi 11 avril 2017

Bleu

A quel moment me suis-je sentie submergée ?

J’avais envie de toi, de toi et plus que ça
De quelque chose que tu ne donnes pas
Qui te dépasse, et qui t’effraie.

Je n’avais pas de rancœur.
J’avais du vague à l’âme,
Un spleen très romantique, évanescent,
Un léger nuage sur le cœur.

Parce que je savais. Tu pouvais faire beaucoup mieux
Au premier regard, j’ai compris.

Alors tu as cherché à me télésnober
Et alors.
Je n’ai jamais craint la rivalité d’un smartphone,
Même accompli. Même gavé de mainte application sexy
Quand la navigation est lisse comme le grain de peau d’une jeune fille
Douce comme ses cheveux, et, miracle
Ses courbes harmonieuses sont faites pour tes mains.
Tu fais glisser tes doigts sur lui comme sur elle
C’est sensuel, charnel, tactile. Bien sûr.
Comme ses cuisses gracieuses pressant ton ventre chaud.

Tu te croyais perdu, et te pensais nomade,
Tu étais connecté, tu pensais maîtriser.
Te voilà devenu un être éveillé
De jour, comme durant tes nuits agitées
Son poumon métallique dans le creux de ta main.

Tu voudrais serrer, serrer pour la retenir
Pour n’être vu que par elle et te
Fondre, dans son corps désincarné
T’imprimer pour le faire vibrer,
Comme un pirate échoué
A l’assaut d’un nouveau navire,
Une terre à dérober,
Cette femme qui pourrait t’héberger.

Tu navigues depuis si longtemps
A vue, à perte.
Tu surfes sur l’amour,
Tu échoues.

Si tu n’avais pas peur pourtant
Si tu n’avais pas froid, crois-moi
Crois-moi.
Ces contrées inavouées, je te les offrirai
Et plus encore. Plus encore.

Tu sais, j’avais baissé les armes.
Je savais ce que tu voulais.
Le désir n’était plus audible. Il jaillissait comme jaillit
La vérité d’un cœur conquis
Évidemment, c’est fulgurant
Une déferlante.

Je sentais tellement de possibles.
Avant.

Car il y a eu
Ta peur.

Peut-être étais-je présomptueuse
Déraisonnée, complètement buggée.

L’armure déposée à tes pieds
Accueillie mon corps exténué, piétiné.

Et ce fût, l’écran bleu.

Lu Divine

samedi 11 février 2017

Manchester by the sea. Hymne à la vie.



C’est fou le talent qu’ont certains réalisateurs.

Kenneth Lonergan nous plonge dans une tragédie, car ce film n’est rien d’autre qu’une effroyable tragédie, intense, injuste, démultipliée. Et cependant, malgré le sort qui s’acharne, malgré l’alcoolisme, la mort, la maladie à répétition : aucune suffocation. Aucun pathos. Rien de sale, rien qui nous ferait haïr le destin et fuir le monde, se révolter, hurler, s’indigner. Rien qui nous donne véritablement envie de pleurer non plus. Tout est assumé. Nous sommes comme l'oncle Lee, en sursit, dans une acceptation austère de ce qui est. Dans une attente aussi d’une légitime éclaircie.

L’incontournable deus ex machina que l’on espère devant chaque abîme ?

Or, celui qui se présente à la couleur ordinaire du réel. Le temps qui passe à l’échelle humaine est bourré à craquer de vie même quand l’horreur frappe. Même timide. Il y a réparation. Même sur un sol ravagé, il y aura à nouveau floraison.


Lee n’attend plus rien. Il vit perclus de douleurs sombres et brulantes. Il a tout perdu dans l’incendie de sa demeure. Ses trois enfants. Et l’amour de sa femme. Tout est parti en fumée en même temps que son cœur.

Son cœur est mort depuis longtemps. Avant, il battait si fort pour Randi. Avait-il déjà aimé avant elle ? Sa vie était merveilleuse. Simple et merveilleuse. La famille qu’ils avaient construit était solide, unie pour la vie. Indestructible. Personne ne pourrait jamais les abimer, les séparer.

Personne, sauf lui.

Ils avaient tellement de chance. Pas comme son frère Joe atteint d’une grave maladie cardiaque. Pas comme sa belle-sœur, fragile et alcoolique.

Et puis, ce qu’il avait aussi, Lee, c’est Patrick. Le fils unique de son frère. Ce petit garçon-là, il l’aimait presque autant que ses propres enfants. Et les balades en mer qu’ils faisaient ensemble les soudaient toujours un peu plus. C’était leur passion. Leur héritage. Leur terrain de jeu. Patrick et oncle Lee.

Un jour, tout bascule soudainement, avec une violence inouïe, et on se retrouve tout seul avec soi-même. Ce soi que l’on haït plus que tout au monde. On voudrait s’en séparer, détruire ce corps hideux qui nous a mené à la perte, ruiné. Mais ce n’est pas si facile. Comme s’éviter ? Nier le peu d’âme qui nous rend encore humain ? Se cacher, se terrer. Enfuir au plus profond sa laideur. Ne plus être regardé par personne. Jamais. Et donc mourir au monde. Mourir à soi. Mourir. Ne plus parler avec personne. Et surtout, surtout, ne plus aimer. Ne plus ressentir. Brisé. Ne respirer que pour boire un peu trop. Même si parfois la vie refait surface, et malgré tous nos efforts, demande son dû. La violence ressurgie, la souffrance est intarissable parce qu’insatiable. Il faut cogner.

*Patrick a besoin de moi. Mon frère vient de mourir. Je ne peux pas quitter Boston et retourner à Manchester. A Boston je suis un mort vivant. A Manchester, je deviendrai fou.
Patrick a 16 ans à présent et une vie adolescente remplie d’amis et de filles… Je ne peux pas être ton tuteur. J’en suis incapable. Je ne veux plus rien à voir avec cette ville, ces gens qui me craignent. Le malheur fait peur, surtout quand il s’acharne. Il est une épidémie contagieuse, une maladie incurable et avilissante. Et moi, Lee, je suis l’auteur de ce carnage. Je suis le boucher.
Comment mon frère a-t-il pu me nommer ton tuteur ? Je ne peux pas. C’est haut-dessus de mes forces. Il savait pourtant que je n’étais plus rien. Pour personne. Et puis je ne veux pas croiser Randi. Je ne veux plus la blesser.

... Mais pour toi, Patrick, je pourrai peut-être faire autrement.*


Non aucune larme. Les seules larmes finalement sont celles qui donneront chaud au cœur. Là où il y a de l’amour, infime, discret, apeuré, il y a la vie. L’air dans les poumons. Le sang qui circule dans les veines. Le cœur qui bat un peu plus fort. Les lèvres qui contre toute attente esquissent un sourire, imperceptible. Les yeux qui s’éclaircissent. L’air marin caresse les cheveux. Soudain, c’est une sensation oubliée qui renait avec urgence. Quelque chose d’agréable. Comme une envie de jeu. Et ce mot que l’on croyait enfui à tout jamais – tendresse – revient à l’esprit et déverrouille le cœur comme une douce saveur de l’enfance. Sans culpabilité cette fois.
Une porte s’ouvre.

Un hymne à la vie et à l’amour.

samedi 4 février 2017

Incident

Et tu marches dans mes pas comme une ombre insidieuse.
Incident, incident. Tu déraperas avant moi pourtant.

Qu'as-tu à me suivre partout comme une âme en peine ?
Désincarnée.

Tu glisses quand le vent souffle. De droite et de gauche. Sans consistance aucune.

Tu t'animes et tu pleures, car l'angoisse qui t'étreint, celle qui te serre le cœur, t'écrase le ventre, est le vide que tu ressens.
Ou ce que que tu ne sentiras jamais.

La vie en toi. L'habitation de ton monde. Quel est-il ?

Cette question cent fois tu te la poses. Et toujours la tête qui tape contre les murs creux de ton âme.

Une âme errante a-t-elle le choix ? Enfin, un autre choix que de paraphraser ?

Tu supplies et tu pleures. Tu incrimines la terre entière, tu l'invectives. Quand tu la crains, celle que tu ne comprends pas, qui t'a fait naître à perte.

Ah si seulement tu pouvais, épouser parfaitement le corps d'un autre !

Il serait toi. Ou tu serais lui.
En lui tu te confonderais,
Et cette existence laide comme un fardeau,
Deviendrait l'anse d'un monde coloré.

Tu te fourvoies encore, encore, quand
La peine est la clé d'un être habité.

Lu Divine

La la land. Encore, encore, encore !


Damien Chazelle, 2017.





Une histoire d’amour sur papier froissé technicolor qui balaye le cœur, le caresse, le transperce et le lie à tout jamais.

Déplier le papier jauni, un peu suranné, pour laisser passer les couleurs de l’arc-en-ciel comme une explosion de saveurs caramel-vanille-chocolat. Et là, les papilles, les pupilles, les babines, en relief presque tactiles. Un baiser sur l’âme comme un onguent.


* Cette barba-à-papa avec toi. Et tes yeux qui pétillent quand je te taquine avec ton rêve. Tu l’ouvriras ce club de jazz. Je le sais plus que toi. Tu le fantasmes alors que déjà je le réalise. Je l’ai même baptisé d’un nom qui ne te plait pas. Pourtant c’est le tien : Seb’s. Toi tu préfères cet intitulé à base de poulet juste parce que c’est un vers de ton jazzman favori … Je trouve ça moche. Et puis je veux que tu sois au centre. Le roi, c’est toi. Le sucre, c’est moi. Tu le picores dans mon cou à chaque crise d’hypo-Mia.

Pourtant, ça n’avait pas vraiment bien commencé entre nous. Ou peut-être que si. N’est-ce pas comme cela que commence toutes les histoires d’amour véritable ? On se croise, on se manque, on ne se voit pas, on se déteste, on se provoque, on s’insulte parfois, l’autre est tellement bête, ou ridicule, ou mal poli, ou arrogant, ou aveugle. C’est donc déjà l’amour, avant qu’on ne se l’avoue. Peut-être même dès la première fois. Tu étais derrière mois dans ce bouchon habituel sur la rocade est… j’ai oublié d’avancer, happée par mon téléphone portable. Tu m’as dépassée en faisant de grands gestes de remontrance alors je t’ai pris de haut, comme si le fou, c’était toi, et je t’ai adressé mon plus beau doigt. Oui, tout avait bien commencé entre nous.

Et lorsque je t’ai recroisé dans cette boite à tapas où la samba règne en maître, c’était pour t’entendre jouer un morceau de jazz incroyablement exécuté au piano. Un anachronisme captivant, d’autant que je déteste le jazz. Enfin, je le détestais, parce que depuis toi... J’étais électrisée. Comme aimantée. Tu étais si beau, si envouté, si passionné. Je devais te le dire. La beauté doit se dire, parce que c’est la Vérité. Toi, tu venais de te faire virer. Mange-t-on des tapas en écoutant du jazz ? Jamais ! Quelle aberration ! Enfin, c’est ce qu’a pensé le patron de ce bouge. Tu étais si fauché. Tu es sorti sans me voir. Pire, tu m’as violemment percutée. Tu ne t’es pas retourné. Pas excusé.

Alors, lorsque je t’ai revu à cette fête, tu étais « clavier » dans un groupe d’animation vraiment très bidon. Et l’accoutrement style YMCA… Je n’ai pas pu résister. C’était du pain-béni. Et je me suis bien moqué en te faisant jouer un affreux morceau pour ado pré pubères.

Voilà comment ça à commencer entre nous.

Moi, je voulais être comédienne. Je n’étais pas mieux lotie que toi. J’avais depuis six ans enchainé tellement de castings, sans succès. J’étais serveuse. Moi aussi j’avais un rêve.

Peut-on s’aimer quand on court chacun après un rêve si personnel ? Si vital. Enfin, je veux dire, peut-être ne peut-on que s’aimer quand on est aussi perdu l’un que l’autre. Deux cœurs à la dérive font-ils un cœur fort, valeureux et gagnant ? Nous en en étions au même point. Mais pour combien de temps ?

Je dansais si bien dans tes bras. Je t’ai aimé très vite. Je t’aimerai toute ma vie. Je ne te mentirai jamais sur celui que tu es, sur le chemin que tu prends. Et si tu te perds à nouveau, je serai là. Et toi seras tu-là ? *


Voilà le postulat de départ de cette romance qui croustille sous la dent comme les bonbons acidulés de l’enfance. Comme un berlingot, une pomme d’amour.

Une boule de bonheur subtile et onirique. Une sorte d’antidépresseur à effets secondaires notoires : le chant fait du bien à l’âme, l’amour guérit le cœur, la danse libère le corps, les émotions nourrissent la vie, - les cartes postales de Doisneau embellissent le monde -, les bons sentiments soulagent les douleurs latentes, la réussite réconforte l’Homme. Il est temps de vivre. De vivre un rêve, son rêve.

Damian Chazelle nous dit, vis ta vie, vis ton rêve, aime et aime encore. Laisse toi emporter par tes sentiments, par tes intuitions, crois en toi et n’aie pas peur de tes émotions, quel qu’elles soient. Vraies ou fausses. Elles sont. Et le rêve c’est aussi la réalité. Pas de rêve sans réel, nous le comprendrons à la fin. Et c’est très bien ainsi. Un hommage au cinéma de Jacques Demy dit-il, entend-on partout. Il y a. Sans lunettes roses. Comme quelque chose qui frappe et percute en douceur, un jaillissement fulgurant de joie dans la poitrine. Une poitrine ouverte qui laisse enfin crier l’Existence, de cette forme presque palpable, que l’on garde en soi longtemps après le retentissement des dernières notes. Le parfum de l’être aimé. La marque Chazelle est déposée.

mercredi 29 octobre 2014

Mommy

De Xavier Dolan, 2014.


Du prémâché à l'auto digestion instantanée


Steve est un adolescent de quinze ans au tempérament maladivement excessif, tantôt agressif et tantôt charmeur.
Sa mère, Diane, est une belle veuve, jeune encore, gouailleuse et passablement vulgaire, dotée d'un caractère bien trempé.
Une voisine, Kyla, petite bourgeoise mal dans sa peau qui va temporiser et permettre à ce trio étrange de fonctionner un temps presque normalement, dans cet équilibre somme toute précaire.
Quelques débordements, un démêlé avec la justice.
Voilà tout.
Le point très positif du film est l'utilisation de l'argot québécois, le joual, de façon extrêmement cocasse et outrancière, particulièrement bien exploité ici.

Xavier Dolan a choisi de situer cette histoire dans un futur très proche dans lequel l'Etat du Canada autoriserait un parent désespéré à abandonner son enfant au service public hospitalier.
Cette loi extrémiste, n'étant là que pour appuyer le mélodrame de façon artificielle, n'apporte pas grand chose au film déjà bourré à craquer de pathétisme démesuré.

Pour entériner sa rhétorique très colorée et surchargée d'arguments ampoulés, Dolan nous abreuve d'une discographie ultra populaire des plus galvaudées. Des plus navrantes. Nous - la plèbe, inculte par définition, nourrie dès notre plus jeune âge à coup de Cécile Dion, d'Oasis et autres supercheries sucrées bons marchés à avaler tout rond les yeux fermés en guise d'anesthésiant, dont nous faisons notre patrimoine culturel -, sommes censées nous identifier à ces archétypes, sans jamais nous rebeller donc.

Ce film est à l'image de Dolan : attachant certes, excessif bien sûr, à l'émotivité exacerbée, à la jeunesse en bandoulière. Alors, oui, le travail est bien fait et on lui pardonne certains débordements d'une hardiesse encore juvénile par endroit et un brin arriviste.
Mais c'est aussi un objet terriblement prétentieux qui transpire l'ego surdimensionné, pétri de bonnes intentions démagogiques. Un penchant un peu dangereux dans le genre "rabatteur de foule", très troublant pour son jeune âge.

Dolan est donc un instinctif doublé d'un intuitif. Et le traitement original et ultra moderne de ce drame familial aurait sans doute pu convaincre et séduire sans réserve.
Il sait ce qu'il faut faire pour plaire à la masse. Pour provoquer sans offusquer. Pour faire réagir sans faire de vagues. Pour faire semblant de dire ou de dénoncer.
Pour gravir les marches quatre à quatre.
Pour ne rien dire mais le dire très très fort et de façon si novatrice que, l'espace du film, la forme parvient à supplanter l'absence de fond.
Il surfe adroitement sur ce raz-de-marrée du "nouveau cinéma français" dont il maîtrise les codes avec maestria : des émotions coup-de-poing, le prolétariat comme terrain de jeu, la résilience en porte-drapeau toile de fond à défaut de culture, pour spectateur éduqué à la télé réalité, la surconsommation de l'"amour", le tout tout-de-suite surtout très vite et très fort. L'étourdissement avec des chimères, le remplissage vain. Et puis plus rien.

En tentant de bousculer le langage cinématographique, et avec lui notre étroitesse de vue embourgeoisée, Dolan adhère à cent pour cent aux desideratas ambiants. Il obtient donc un vingt sur vingt à sa copie. Où rien n'est laissé au hasard, de sorte qu'il est impossible que le spectateur est un avis objectif, et encore moins subjectif. Les émotions calibrées et orchestrées, identiques pour chacun de nous, sont parfaitement calculées. Aucune expérience ni réflexion ne peut naître de ce cinéma car tout est organisé de façon millimétrée. Seul existe un bruit incessant, peut-être enivrant.
Un peu comme devant un feu d'artifice, ou dans une fête forraine. Un truc qui fonctionne en surface, qui sonne creux. On en prend plein les mirettes. Le grand huit nous procure un tourbillon assez magique d'émotions factices variées dont on ressort légèrement ahuri. Un instant chancelant. Que s'est-il passé ? Rien en fait. Plus rien.

Xavier Dolan est donc est excellent technocrate de l'émotion mécanique.
On passe un moment plutôt agréable, sans dérangement fondamental. Et probablement que ça peut être ça, aussi.
Une truffe aux aspérités lissées.
Une pochette surprise.
Un diable en boite.

Une barbe à papa.

mercredi 24 septembre 2014

Les combattants

Film de Thomas Cailley, 2014.


Des chevaux de bois aux soldats de plombs.


Adèle est belle, athlétique, forte.
Éclatante et intrépide. Charnelle et sensuelle. Animale et terrible.
Son monde est apocalyptique. La fin des temps est imminente. Le réchauffement climatique, la pollution atmosphérique, la famine, l'individualisme... Il s'agit d'apprendre à survivre. Tout de suite. Expressément. Elle s'est forgée une identité de guerrière, tendue vers un futur proche des plus obscures.

Arnaud est doux. Flottant, hésitant.
Timide et emprunté. Amoureux et tendre.
Son père vient de décéder, et il reprend avec son frère l'entreprise familiale d'abris de jardin.
Il ne sait pas trop. Il ne se projette pas. Se laisse porter par la vie. Il vit. Simplement.

Ils sont éclatants de jeunesse. Un peu désœuvrés aussi. C'est l'été quelque part en Aquitaine...
Adèle et Arnaud n'ont rien à faire ensemble.

Un jour, Arnaud rencontre Adèle.
Un jour, Adèle voit Arnaud.

Alors, pour être avec elle, seulement, il la suit dans le même stage de survie de l'armée de terre.


A mi-chemin entre la comédie romantique, la farce et le cinéma de genre, Les Combattants dresse un portait original et efficace des très jeunes adultes, tout juste sortis de l'adolescence. Plein d'idéaux encore, intransigeants souvent, jusqu'au-boutistes toujours. Des personnalités qui se cherchent et se cristallisent un temps d'un extrême à l'autre. Des identités en devenir. Tournées vers le monde qu'on leur raconte. Coupées d'eux même. Si peu conscients en fait.

C'est avec une fine intelligence que Thomas Cailley parvient à nous faire ressentir ce qui se joue-là. De l'intérieur. A cet âge charnière où tout est possible parce que l'on s'invente, on se découvre, se construit. Se méconnaît tellement, s'identifie au monde qui nous entoure, tantôt agité et brutal, tantôt intimidant parce que vide de sens.

Avec pudeur. Les personnages sont ce qu'ils font. Ils s'expriment peu. Rien sur leurs sentiments. Rien sur leurs émotions. Tout est rentré. Rien n'est compris comme tel. Tout est vécu pourtant. Ca se joue ailleurs, dans les actes brusques et irréfléchis. Dans les attitudes gauches et fragiles. Les regards qui se toisent, se jaugent. Les tensions des corps qui s'appellent, se réclament. Des peaux qui brillent et respirent le désir. Les yeux durent. Les yeux doux. Les yeux qui se veulent.

T. Cailley filme ses personnages avec une justesse d'une grande subtilité parce qu'emprunte d'une tendresse amusée. Les situations à la fois incongrues et gracieuses, générées par les aléas d'une société vue comme retorse et étriquée, sont celles d'enfants qui jouent aux grands. Le burlesque adoucissant les angles.

Comment fonctionner dans ce monde d'adultes ? Dans ce monde qui s'autodétruit par manque de conscience donc d'humanité ? Un monde immature au sens premier du terme. Quelle en serait l'alternative viable ?
Arnaud le sent. Lorsque, allongé à même le sol à côté d'Adèle, il plante, une à une, des aiguilles de pins dans le sable, délicatement, avec une patiente infinie afin de ne pas les briser. Sans jugement. Sans penser. Pour passer le temps. Avec tolérance. Avec légèreté. Pour juste se concentrer sur l'instant présent. Tout ce qui est en somme. Et vivre.

lundi 8 septembre 2014

Métamorphoses

Film de Christophe Honoré, 2014.


Des démiurges qui ne fleurent pas la rose.


Christophe Honoré s'amuse à transgresser les codes du cinéma. Pourquoi pas. C'est dans l'air du temps. Du coup, pas franchement si original. Pourtant certains réalisateurs s'en sortent très bien et proposent des formes innovantes entre réel et fiction, tout en restant émouvantes. Sauf que pour s’adonner à ce genre-là, il faut un propos qui tienne la route, et le talent pour le mettre en œuvre.

Ici, rien de tout ça. Non seulement, les plans de paysage d'une lenteur et d'une laideur affligeantes nous plongent dans une torpeur végétative et ce, de façon précoce, mais en plus rien ne nous est raconté.

Il faut avoir une prétention démesurée pour s'imaginer pouvoir reprendre Les Métamorphoses, long poème épique latin d'Ovide, de l'an 1 - une œuvre de près de
12 000 vers écrite en hexamètres dactyliques - et la transposer à notre époque. Attention, pas n'importe où, dans une banlieue du sud de la France des plus moche, où des adolescents, collégiens affreux et pas très propres, endossent le rôle de divinités de la mythologie grecque, pour la plupart très connues d'Œdipe, Tirésias, Argus, Philémon, Jupiter, Junon, etc.

Aucune direction d'acteurs évidemment. D'ailleurs, acteurs, ils ne le sont pas et, d'effort pour nous le faire croire, il n'y en a pas. Non seulement ces ados sont terriblement laids, mais en plus ils jouent extrêmement mal. En fait, ils ne jouent pas. Ils se laissent vaguement porter par le vent. Beurk.
Heureusement qu'ils se transforment parfois en génisse. Seule être vivant du film incarné et doté d'une lueur d'intelligence. Le plus du film réside donc là, dans ce choix très judicieux d'une génisse de toute beauté.


De quoi s'agit-il alors ? D'un cinéma français "jeune", "anti-bobo", qui veut encore sortir du cadre affreusement "dégueulasse" (on veut nous ancrer ça dans le crâne) de la fiction travaillée et sublimée du 7ème art qui nous faisait rêver ou du moins nous transportait quelque part.

Là, il n'y a pas de message. Il y a : des adolescents à poil durant presque deux heures, faisant l'amour un peu partout dès qu'ils le peuvent. Des corps sans grâce, des dieux et des déesses sans âmes, des interactions vaines et finalement complètement factices. Quant au langage... on est loin de la poésie. On l'aura compris très vite.

Pour nous parler de la banlieue encore, pour casser les barrières du genre et entre les genres toujours, pour éduquer la plèbe certainement, pour illustrer la mutation adolescente - ce passage difficile, ingrat où l'infant devient adulte et se pense à la fois et le plus laid et le plus fort. Des dieux et des déesses au rabais. Et au ras des pâquerettes, au plus près du bitume.


Encore pour ne rien nous dire. Et le dire très mal.

Il serait temps de mettre un terme à cette pauvreté pédante - tentative (impuissante) d'intellectualisation pour pallier le manque de créativité, et qui contrecarre systématiquement toute velléité d'imagination.